Mimmo Cuticchio est le marionnettiste le plus célèbre de Sicile. Issu d'une famille exerçant son art depuis des générations, fils, frère et père de marionnettistes, c'est un maître de l'Opera dei Pupi (le théâtre de marionnettes sicilien, qui puise ses sujets dans la Geste des paladins de France) aussi bien que du cunto (le conte oral épique, tel qu'on le pratique traditionnellement en Sicile, faisant intervenir une gestuelle et une scansion particulière et des supports iconographiques). Son nom ne vous évoque peut-être rien, mais sans doute l'avez-vous déjà vu dans la saga cinématographique du Parrain où il apparaît fugacement avec ses pupi, jouant son propre rôle.
Mimmo Cuticchio tient un théâtre célèbre à Palerme, mais il est souvent venu en France. En 2018, il a effectué, à Roncevaux, une sorte de pèlerinage, dont je vais laisser Anna Leone vous faire le récit :
"Pour ses soixante-dix ans, Mimmo Cuticchio a organisé un festival spécial de la Macchina dei Sogni, qui s'est conclu, en juillet 2018, avec un cunto de la mort d'Orlando, fait là où il serait mort : à Roncevaux. Je me suis alors unie au petit groupe de conteurs, marionnettistes et amis, qui a accompagné Mimmo Cuticchio et d'autres membres de sa compagnie sur un chemin de dix-huit kilomètres qui conduit de Saint-Jean-Pied-de-Port à Roncevaux. Il y avait Giacomo et Nino Cuticchio, Tania Giordano, le conteur Giovanni Guarino, Bruno Leone et des jeunes conteurs qui avaient participé à la formation organisée pour cette édition du festival.
Et il y avait aussi Orlando. Je l'ai vu arriver avec Tania Giordano, qui le tenait dans ses bras comme un enfant, il était sans armure. Au fur et à mesure que nous approchions du monument érigé sur le lieu où Orlando serait mort, les opranti l'ont habillé. A chaque étape que nous faisions, pour écouter une histoire racontée par un des marionnettistes et conteurs, on ajoutait une nouvelle pièce : d'abord le jupon et les jambières, puis la cuirasse, le heaume, le bouclier et l'épée. Quand l'armement du pupo a commencé, Mimmo Cuticchio nous a expliqué qu'Orlando n'avait pas endossé l'armure pour la bataille, mais celle des fêtes et des parades, car il croyait se rendre au baptême des rois musulmans et ne s'attendait pas à l'embuscade et à la mort.
Nous n'étions pas entraînés ni bien équipés pour la marche et nous avons donc ressenti d'avantage la fatigue. Selon les quelques participants qui avaient un peu d'expérience de la randonnée, les nombreuses et longues pauses que nous faisions ne faisaient que multiplier l'effort. De plus, il y avait Orlando que plusieurs personnes ont porté à tour de rôle, tout au long du parcours. Je souhaitais le porter mais j'hésitais à le prendre, n'étant pas parmi les marionnettistes et les conteurs et craignant de n'avoir pas assez de force. Et pourtant, les quelques mètres pendant lesquels je l'ai tenu dans mes bras ont été en réalité ceux où j'ai le moins ressenti la fatigue.
Nous sommes arrivés à Roncevaux épuisés mais heureux. Le soir, à table, Nino Cuticchio m'a raconté avoir hésité à partir, craignant de ne pas réussir à faire tout le chemin à pied. Puis, une fois en marche, il n'a plus pensé aux kilomètres à parcourir et il n'a pas ressenti la fatigue, mais seulement la joie de voir les endroits vus par les paladins et de découvrir qu'ils étaient tels qu'il les avait vus peints sur les toiles de l'opera dei pupi. Lorsque j'ai demandé à Tania Giordano si elle n'était pas trop fatiguée d'avoir porté Orlando pendant les premiers huit kilomètres, elle m'a dit que d'être avec lui sur ce chemin n'avait pas été un poids mais un honneur et une vraie joie. Il semblait que la joie transmise par cette journée particulière nous faisait oublier la fatigue, en même temps que cette dernière multipliait notre bonheur.
Après deux jours de contes, spectacles et conférences, le festival s'est achevé par un cunto itinérant de la mort d'Orlando. Mimmo Cuticchio nous a raconté la bataille de Roncevaux en plusieurs étapes, au long d'un sentier de deux kilomètres, pour conclure son cunto aux pieds du monument dédié au premier paladin de France, érigé sur le lieu où il serait mort."
Pupi et guarattelle, les marionnettes de Naples et de Palerme, par Anna Leone, Classiques Garnier, 2022.
Que n'étais-je avec eux ! La vérité m'oblige à dire que je n'ai rencontré la troupe des Cuticchio que trois ans plus tard, en un tout autre lieu...
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Et les paladins étaient là aussi... |