mercredi 3 février 2021

Les chansons de geste expliquées par Astérix, partie 1

 La pédagogie étant affaire de répétition, je vais commencer cette nouvelle année par rappeler au sujet de nos vieilles épopées quelques faits simples, mais trop souvent méconnus ou incompris. Dans l'espoir de dissiper ces malentendus et de rendre mon propos aussi clair que possible, tout en lui conférant un côté ludique, je l'illustrerai en faisant appel à un personnage que vous connaissez bien, chers lecteurs : Astérix le Gaulois.

C'est lui.

Pour ceux qui, d'aventure, ne le connaîtraient pas, précisons toutefois qu'Astérix est un héros de bande dessinée. Dans la diégèse, ou pour parler sans jargon, dans le cadre fictif au sein duquel il existe, Astérix est un irréductible Gaulois qui, après la conquête de la Gaule par les Romains, résiste encore et toujours à l'envahisseur. Il défend son village à travers une série d'aventures qui, nous dit la bande dessinée, se déroulent en 50 avant Jésus-Christ.

On pourrait donc supposer, naïvement, que les bandes dessinées narrant ces aventures sont apparues, elles aussi, en 50 avant Jésus-Christ, peut-être écrites par des témoins de l'époque, s'inspirant de faits réels. Un problème se pose, cependant, et de taille : comment les auteurs auraient-ils pu savoir qu'ils vivaient en 50 avant Jésus-Christ, et l'écrire au début de chacun de leurs récits ? Etaient-ils donc doués de facultés divinatoires, pour prévoir l'avènement du Christ, et le système de datation qui en résulterait ?

En fait, il n'en est rien. La vérité est beaucoup plus simple : les auteurs des aventures d'Astérix étaient des hommes du XXème siècle : le scénariste René Goscinny et le dessinateur Albert Uderzo.

Ce sont eux.

Dès lors, on en conviendra, le fait qu'ils connaissent notre calendrier, et le citent, ne pose plus de difficulté. Autre conséquence : Goscinny et Uderzo étant des hommes du XXème siècle, ils ont pu écrire leur bande dessinée en français. S'ils avaient vécu en 50 avant Jésus-Christ, ils auraient dû le faire en latin, qui était la langue écrite de l'époque (car les Gaulois, quant à eux, n'écrivaient pas).

Et les chansons de geste, dans tout ça ? Eh bien, comme vous le savez, on désigne sous ce vocable un ensemble d'épopées, de récits fabuleux de guerres et d'aventures, rédigés sous une forme poétique, et se déroulant, pour l'essentiel, à l'époque carolingienne.

On pourrait en déduire, naïvement, que ces chansons ont été composées à l'époque carolingienne, et c'est ce que beaucoup de gens, mal renseignés, croient en effet.

Or, il n'en est rien ! Nos épopées ont en commun avec les aventures d'Astérix de ne pas avoir été écrites à l'époque où elles se déroulent. Toutes nos chansons de geste sont des textes de l'époque capétienne, et plus particulièrement du XIIème et du XIIIème siècle. Quelques-unes des plus anciennes remontent sans doute à la seconde moitié du XIème siècle, et l'on continue d'en composer (peut-être sans réellement les chanter) au XIVème et au XVème siècle, mais en tout état de cause, l'âge d'or des chansons de geste, c'est cette période que les historiens appellent aujourd'hui le moyen âge central ou classique : le XIIème et le XIIIème siècle.

Ainsi s'explique une multitude de références et d'allusions aux réalités de l'époque capétienne, qui figurent dans nos vieux poèmes, et qui supposeraient chez leurs auteurs une préscience inexplicable, s'ils les avaient composés aux temps carolingiens : allusions et références qui seraient alors aussi incongrues que la mention, par un auteur d'avant le Christ, de la date de 50 avant Jésus-Christ !

Autre conséquence : nos chansons de geste sont écrites en français, le français de l'époque, que l'on appelle aussi la langue d'oïl. Si elles dataient réellement des temps carolingiens, elles devraient être écrites en latin, la seule langue littéraire alors disponible (car le francique, la langue germanique des Francs, ne s'écrivait pas).

On a cependant supposé que ces chansons de geste, certes couchées par écrit à l'époque capétienne, pourraient avoir été inspirées par des traditions orales plus anciennes, transmises de bouche à oreille depuis les temps carolingiens. C'est une possibilité. D'éminents savants l'ont soutenue. Mais cela reste une simple hypothèse, qui ne pourra jamais être prouvée, car pour la prouver il faudrait quelque chose qui, précisément, ne peut pas exister : des traces matérielles d'une tradition purement orale.

On peut le déplorer, mais la technique de la prise de son n'était pas encore tout-à-fait au point, en ces temps reculés.

Brisons-là pour l'instant. Nous nous retrouverons bientôt, pour d'autres causeries autour des chansons de geste, en compagnie d'Astérix.

4 commentaires:

  1. Quand on m'explique comme cela, je comprends tout par Toutatis!

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  2. Les gaulois écrivaient par Belisama ! Pas assez malheureusement mais ils écrivaient. Bon je chipote mais tout de même ^-^

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    1. Je suis rouillé sur la question. Occasionnellement, il me semble, en utilisant des caractères grecs. Mais enfin, si j'ai bonne mémoire, ce n'était tout de même pas tellement dans leurs habitudes. Les druides avaient plutôt tendance à refuser l'écriture, si l'on en croit le témoignage de César.

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