lundi 29 juin 2020

Le glossaire médiéval : Tolir

Une idée m'est venue. 

Je vais désormais, sur ce blog, vous faire découvrir de temps en temps des termes d'ancien français. De vieux mots, tels qu'on peut en croiser dans les vers de nos chansons de geste, dont je vous donnerai le sens, et que j'illustrerai par quelques passages de nos poèmes.

J'espère ainsi rendre service à quiconque voudrait s'essayer à les lire. 

Bien sûr, je ne les choisirai pas tout-à-fait au hasard. Il en est que je trouve beaux, intéressants ou amusants, pour des raisons diverses. Certains se rencontrent si fréquemment que l'on est tout simplement obligé de les connaître lorsque l'on fréquente notre littérature médiévale. Il en est dont je me sers dans mes propres livres, et certains me charment tant que je serais enchanté de les voir revivre, et se refaire une place dans l'usage. Au moins l'usage littéraire, disons, ne soyons pas présomptueux...

Ce sera mon glossaire médiéval.

Commençons donc par le verbe tolir (ou toldre, toudre...).

Issu du verbe latin tollere (c'est à dire prendre, porter ou soulever), le verbe médiéval tolir à le sens de prendre, ôter ou enlever (quelque chose à quelqu'un). On pourrait même le traduire par voler ou arracher dans certains cas, car le terme fleure bon la violence et l'agressivité. On l'emploie souvent dans des contextes guerriers, où il est question de "tolir" ses terres à un seigneur ennemi, par exemple. On peut aussi "tolir" un membre ou même sa tête à un adversaire, en le mutilant ou en le décapitant. Paradoxalement, le verbe est aussi susceptible d'un emploi amoureux et courtois : si vous êtes un jeune chevalier de galante complexion, une belle dame pourrait bien vous "tolir" votre cœur !

J'en relèverai quelques occurrences dans une Chanson de Roland. Toutefois je ne me référerai pas au texte que l'on désigne ordinairement sous ce titre (qui est le Roland du manuscrit d'Oxford, datant des alentours de 1100), mais à une autre version, plus tardive : le Roland de Paris, qui date du XIIIème siècle. Cette version comporte un épisode absent de celle d'Oxford : l'évasion et la fuite de Ganelon, qui se produit après la bataille de Roncevaux et la victoire de Charlemagne sur Baligant, alors que l'armée française a regagné Sorges (aujourd'hui Sorde-l'Abbaye). C'est dans cet épisode que je piocherai mes exemples.

Ganelon, qui sait qu'il va être exécuté pour trahison, a réussi à s'enfuir avec ses armes et son cheval. Othon, un chevalier de Charlemagne, se lance à ses trousses. Rencontrant des marchands sur sa route, Ganelon leur demande de mentir à ses poursuivants. Il leur adresse ces paroles :

"Seignor, dist-il, alez seürement.
N'a home en terre n'en cest siecle vivant,
qui ja vos toille un denier vaillissant."

Ce qu'on pourrait traduire par :

"Seigneurs, dit-il, allez sans crainte. Il n'y aucun homme en ces terres qui puisse vous dépouiller d'un seul denier."

Ganelon les rassure donc quant à la présence d'éventuels pillards ou brigands dans les parages. Les marchands obéissent à ses instructions, au grand désarroi d'Othon, qui se croit nettement distancé par l'ennemi qu'il talonne. Le bon chevalier finit pourtant par rattraper le traître, auquel il adresse d'amers reproches :

"si vos rendrai a Charlon le vaillant
cui tu toillis son bon neveu Rollant
et Olivier le hardi combatant ;
les douze pers li toillis ausiment
et les vint mille meïs tu a torment."

C'est à dire :

"Je te remettrai au vaillant Charles, auquel tu as fait perdre son bon neveu Roland et Olivier le hardi combattant ; tu lui as aussi coûté les douze pairs, et tu as causé la mort des vingt mille chevaliers de l'arrière-garde."

Au terme de diverses péripéties et d'un âpre combat, Ganelon finira par être capturé.

Comme vous le voyez, tolir est un verbe assez polysémique, qui englobe différents sens renvoyant aux idées de prendre avec violence, de voler, de conquérir, d'arracher ou de faire perdre un bien, une terre, un être cher...

3 commentaires:

  1. J'en déduis que la "tolirance" était une caractéristique des temps médiévaux. À une syllabe près, voilà qui devrait ravir notre époque progresseuse.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est en effet la même origine. Notre verbe "tolérer" provient du latin "tolerare" (porter, supporter) qui dérive de la même racine que le latin "tollere" d'où provient le "tolir" médiéval.

      Pour la petite histoire, "tolir" a aussi donné le mot "tollé", encore vivant, qui est à l'origine un cri de protestation. C'était à l'origine la forme impérative de tolir à la deuxième personne du pluriel : "Tolez !", qu'on pourrait traduire selon le contexte par "Assez !", "Sortez-le!", "Virez-moi ça!", ou quelque chose d'approchant...

      Supprimer
    2. Ce brave "tollé" a bien fait de perdurer puisque, de sergent qu'il était vers 1250, il a fini, à notre époque, par devenir général.

      Supprimer