samedi 28 décembre 2019

La Pierre du Royaume

Désireux de pousser plus avant ma découverte de la culture brésilienne, et en particulier de la place étonnamment large qu'y occupent les traditions héritées de la matière de France, je me suis tourné vers La Pierre du Royaume, roman hors du commun dû à la plume de l'écrivain Ariano Suassuna, très inspiré par la littérature de cordel.


Il faut dire que le quatrième de couverture avait de quoi m'allécher. Jugez plutôt :

"Un royaume messianique, fondé sur deux pierres enchantées, a été établi dans le Haut Sertão de Paraíba puis il a disparu. Quaderna, poète-bibliothécaire d'une petite ville sertanèje témoigne devant le juge, qui s'efforce de découvrir la dimension politique des luttes qui ensanglantent le Nord-Est du Brésil depuis un siècle. 

L'arrivée du Damoiseau Blanc sera le point de départ de la " quête " de Quaderna : quête de la vérité, recherche d'un trésor perdu, de sacrement qui fera de lui l'Empereur de Sertão. Les douze pairs de France et l'univers chevaleresque, toujours présents dans la littérature de " cordel ", pénètrent toute l'œuvre, lui proposant ses buts aventureux et ses structures romanesques : la transformation des héros de chevalerie en personnages mythiques fournit des solutions à des situations sociales, économiques et structurelles apparemment sans issue. La fête du rituel de passage du monde réel à l'univers romanesque. 

Ce roman inclassable et fascinant, érudit et populaire, participe du rêve et de la réalité, du rire et du drame. La critique enthousiaste a évoqué, lors de sa sortie, Don Quichotte et La Divine Comédie ou Tartarin de Tarascon, cette universalité de référence cache la perplexité devant un roman irréductible à son seul ancrage dans le Nord-Est Brésilien."

Que vous en dire de plus, maintenant que j'en ai achevé la lecture ? J'ai été conquis, et le mot est faible. Ce roman, sans conteste ma plus ébouriffante découverte littéraire de ces dernières années, ne ressemble à aucun autre, et mon intérêt n'a pas faibli un seul instant, jusqu'à ce que j'en atteigne la fin.

Pourtant, l'action met du temps à se mettre en place, et l'on pourrait presque dire que, dans cet étrange récit, il se passe en fait assez peu de choses. Mais tout l'intérêt du livre tient à la manière dont les faits sont rapportés, par ce déroutant narrateur qu'est Quaderna, certainement la figure la plus fascinante dont l'auteur ait peuplé son oeuvre.

Quaderna, de son propre aveu, est à la fois poète, bibliothécaire, charadiste, devin et astrologue, tenancier de maison de passes, chevalier, roi et descendant de rois, romanceiro, rhapsode et diascevaste, extrémiste du centre et monarchiste de gauche, et catholique sertanèje, pas catholique romain, entre autres qualités. C'est aussi un génie ou un cinglé, on ne sait trop, et pourquoi ne serait-il pas les deux ? Ses différentes facettes nous sont dévoilées, les unes après les autres, au fil du roman. 

Le style dans lequel Quaderna nous conte son histoire est une pure merveille : âpre, cru et charnel, mais aussi flamboyant comme une bannière et rutilant comme une pluie de joyaux ! Chapeau bas à la traductrice, Idelette Muzart, pour l'avoir restitué : la tâche n'était pas facile, et elle a su s'en acquitter d'une façon qui mérite tous les éloges ! Par son regard enchanteur et son verbe enchanté, Quaderna métamorphose les contrées misérables, désertiques et d'une pauvreté sordide du Sertão (l'arrière-pays du Nord-Est brésilien, prononcez "Sertan") en un univers envoûtant pleins de chevaliers, de rois et de princesses, un univers où s'exercent les puissances merveilleuses et inquiétantes du divin, traversé d'anges, de diables et d'onces. Car l'once, cet animal que l'on appelle aussi la panthère des neiges, occupe une grande place dans le roman, où il se présente sous différents avatars : Once-Tachetée du Divin, Once galeuse du monde, et puis aussi cette autre once, une once ailée, maléfique et funeste celle-là, qui est une des apparences que revêt la Bête Bruzaca, incarnation du diable.

Si Quarderna est le metteur en scène de l'histoire qui nous est contée et règne sur elle en quasi-Démiurge, n'allez pas croire que les autres figures du roman soient négligées, bien au contraire ! Qu'il s'agisse de Samuel et Clemente, les deux "castrats", intellectuels pusillanimes et "maîtres" de Quaderna, de personnages quasi-mythiques incarnant des forces et des passions abstraites (l'Emissaire du Bleu, l'Emissaire du Rouge, le Damoiseau Blanc au passé mystérieux...), de Pedro Beato, le cocu sans ambition, saint homme plein d'indulgence qu'on se prend à admirer, du Corrégidor et de Margarida (les deux personnages auxquels s'adresse le récit), de l'évêque et des bourgeois apeurés, du peuple hétéroclite des gitans, des muletiers et des bandits de grands chemins, tous sont vrais, et incroyablement vivants.

Les chapitres sont présentés comme des folhetos de littérature de cordel, et ornés de xylogravures à la manière traditionnelle, ce qui ne gâte rien.

Est-ce une comédie ? Un roman picaresque ? Est-ce un roman social ou une étude de mœurs ? Est-ce une épopée ? Est-ce un roman de cordel ? Est-ce une chanson de geste ?

Je n'en sais foutrement rien mais ce livre est un putain de chef d'oeuvre, c'est moi qui vous le dis !

3 commentaires:

  1. « Chapeau bas à la traductrice, Idelette Muzart, pour l'avoir restitué »

    D'autant que, avant ça, elle avait dû surmonter deux handicaps énormes : d'une part s'appeler Muzart (et pourquoi pas Buthoven aussi ?) et, en outre, survivre à son prénom, Idelette.

    Sinon, comme écrivain brésilien, je recommanderais également Machado de Assis. Par exemple, les Mémoires posthumes de Bras Cubas.

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    1. Son blaze ne me faisait pas penser à Mozart, mais à une parole de saint Louis à Joinville, "Vous dites comme hastis musars", que Péguy glose ainsi, dans Le Mystère des Saints Innocents : "comme hâtif musard, comme hâtif étourdi, comme hâtif étourneau"...

      Je prends bonne note de votre suggestion : je cherche à poursuivre mon exploration de la littérature brésilienne.

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