En poursuivant notre exploration de la chronique de Guillaume Crétin, nous tombons sur une scène de bataille digne de retenir notre intérêt.
A première vue, l'image est banale. Des troupes de guerriers s'entrechoquent. Les Francs arborent les bannières anachroniques, fleurs de lys et oriflamme, que nous avons l'habitude de voir associées à Charlemagne, et cela ne nous surprend plus. L'empereur lui-même n'est pas visible.
Seul détail remarquable : nous voyons les Francs vainqueurs s'emparer du butin de la victoire :
Rien que de très normal après une bataille, mais il est rare que les imagiers prennent la peine de représenter ces détails prosaïques. Si l'enlumineur l'a fait, c'est peut-être bien que ce butin revêt, en l’occurrence, une importance exceptionnelle.
Au fait, quelle est cette bataille, et qui sont les ennemis vaincus ? D'après le texte de la chronique, ce sont des Huns. L'anachronisme est flagrant. Historiquement, Charlemagne n'a jamais combattu les Huns. Même dans les chansons de geste, qui ne se privent pourtant pas de lui faire affronter des adversaires qui ne furent jamais les siens, voire des peuplades entièrement imaginaires, on ne le voit jamais en découdre avec le peuple d'un Attila ayant vécu trois bons siècles avant lui-même. Mais si ces prétendus Huns ne figurent ni dans l'Histoire, ni dans la Légende de Charlemagne, d'où sortent-ils ?
C'est la scénette du pillage du butin qui nous met la puce à l'oreille. Ceux que le texte nomme des Huns sont en fait des Avars, et la victoire représentée est la prise par les Francs du Ring des Avars. Il s'agit d'un peuple païen, nomade et belliqueux, venu de l'Est, que les hommes du Moyen Âge pouvaient aisément confondre avec les Huns présentant des caractéristiques similaires, mais ayant laissé dans les esprits une impression bien plus forte et durable. (Pour la petite histoire, les Avars voyageaient avec des chariots, dont il se servaient pour transporter le fruit de leurs rapines, et peuvent avoir inspiré les Wainriders, une peuplade fictive de l'oeuvre de l'écrivain Tolkien.) Mais contrairement aux Huns, Charlemagne a eu maille à partir avec les Avars.
Ces redoutables pillards avaient édifié, sur la rive gauche du Danube, un vaste camp fortifié, appelé le Ring, siège du pouvoir de leur seigneur portant le titre de kaghan, où ils rassemblaient le butin de leurs maraudes. Depuis cette base, ils lançaient des expéditions dévastatrices en Bavière et dans le Frioul. Mais en 796, Eric, le duc de Frioul, remporta sur eux une importante victoire et prit le Ring. Charlemagne ne prit pas part au combat : c'est pourquoi il est absent de la miniature. Les guerriers francs s'emparèrent du butin des Avars, qui devait être gigantesque : on parle de quinze chariots d'or envoyés à Aix-la-Chapelle, une fortune qui contribua notablement à la puissance de Charlemagne et soutint sa politique dans les années qui suivirent.
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Objets d'or provenant du Ring des Avars |
Quant aux Avars, après des défaites répétées face aux Francs, ils s'inclinèrent finalement devant leurs ennemis et passèrent sous la protection de Charlemagne, le kaghan lui-même acceptant de recevoir le baptême. Puis ils se désagrégèrent.
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