Dans la plupart des représentations iconographiques de la mort de Roland, un autre personnage se tient auprès du héros, pour l'assister à son heure dernière.
Ce personnage n'est autre que Baudouin, le demi-frère de Roland, fils de la mère du héros et du traître Ganelon. Car, on l'oublie trop souvent, Ganelon est le parâtre de Roland.
Cette parenté, qui place Baudouin entre deux personnages qui se détestent, le met dans une position à la fois intéressante et compliquée, que les auteurs médiévaux vont traiter de diverses manières. Tous s'accordent à faire de Baudouin un chevalier preux et loyal, digne de son frère, et n'ayant aucune part dans les fautes de son père. Mais d'autres éléments varient énormément d'une version de la légende à l'autre.
Dans la Chanson de Roland du manuscrit d'Oxford, qui est la version la plus ancienne que nous possédons de ce poème, Baudouin n'est encore qu'un enfant, que Ganelon évoque avec attendrissement au moment de partir pour sa périlleuse ambassade chez le roi Marsile, mais qui ne prend aucune part à l'action et n'apparaît même pas. Très souvent, cependant, les textes postérieurs le vieillissent, pour lui permettre de participer à l'expédition d'Espagne en tant que jeune guerrier.
Malheureusement, beaucoup d'auteurs médiévaux sont trop convaincus de l'hérédité des vertus du lignage pour tolérer qu'un bon chevalier comme Baudouin soit le fils d'un traître. Ainsi, dans le Charlemaine de Girart d'Amiens ou la Chronique du Pseudo-Turpin, par exemple, Baudouin devient le fils du duc Milon et le frère de Roland à part entière, ce qui lui ôte à peu près tout intérêt : il n'est plus qu'un terne épigone de Roland, reproduisant ses exploits avant de mourir bravement mais sans éclat, sans réussir à laisser au lecteur un souvenir bien vif.
Les textes les plus intéressants relatifs à Baudouin sont ceux qui admettent sa filiation avec Ganelon et nous donnent à voir sa réaction à la trahison de son père.
Ainsi, dans le Myreur des Histors de Jean d'Outremeuse, Baudouin, n'ayant pas pris part à la bataille de Roncevaux, survit à son demi-frère et intervient lors du procès de Ganelon qui s'ensuit. Le jugement devant être conclu par un duel judiciaire, Baudouin se propose pour soutenir la cause de Charlemagne et de Roland, en affrontant en champ clos Pinabel de Sorence, cousin et champion de Ganelon. Prenant fait et cause contre son propre père, Baudouin deviendrait presque un parricide s'il remportait le duel, car le châtiment de Ganelon, une fois sa trahison prouvée par l'ordalie, ne peut être que la mort. Charlemagne ne permet pas qu'il en aille ainsi : refusant l'offre de Baudouin, c'est à Thierry, l'écuyer de Roland, qu'il accorde l'honneur de disputer le duel.
Mais la version la plus belle et la plus poignante de l'histoire de Baudouin se trouve dans une épopée italienne, la Spagna, fondée sur les traditions relatives à l'expédition d'Espagne. Dans ce poème, Ganelon, au moment de conclure un pacte avec les Sarrasins, a stipulé qu'on épargnerait son fils : à cet effet, le jeune homme doit porter sur son armure une cotte blasonnée qui le fera reconnaître. Baudouin, qui ne se doute ni de la trahison de son père ni de cette clause, prend au combat de Roncevaux une part vaillante ; mais à sa grande surprise, il voit les guerriers ennemis esquiver sa rencontre et se dérober devant ses coups. Roland, qui a deviné les machinations de Ganelon, raille son demi-frère en voyant ses armes intactes, et lui fait comprendre qu'il doit son salut à la trahison de son père. Baudouin, horrifié et blessé dans son honneur, devine que c'est à la cotte couvrant son armure qu'il doit d'être épargné. Il l'arrache, se jette au milieu des sarrasins qui le criblent de coups, et en mourant il crie à Roland : « Tu vois que je ne suis pas un traître ! »