Suite à mon billet d’hier et aux
objections qui m’ont été faites, j’ai cru utile, pour ne pas parler dans le
vide autour du sujet, d’aller vérifier quelle connaissance les hommes du moyen
âge pouvaient avoir des sources antiques parlant des Gaulois. Ygor Yanka m’en a
suggéré deux, Tacite et Pline l’Ancien, et Boutfil m’a cité César.
Je suis donc allé voir dans la
monumentale Histoire critique de la
littérature latine de Pierre Laurens (2014, Paris, Belles Lettres). Il ne
me reste qu’à poser bien franchement sur la table ce que j’y ai trouvé, et
peut-être jugera-t-on que ces éléments sont de nature à conforter la position
de mes sympathiques contradicteurs davantage que la mienne.
Pour ce qui est de César :
« Au début du XIIIe
siècle, un anonyme compose, sur le modèle de Suétone, une sorte de vie de César
intitulée Les Faits des Romains :
pour la guerre des Gaules, il traduit, ou plutôt adapte, les Commentaires, sans
savoir, d’ailleurs, qu’ils sont l’œuvre du conquérant lui-même ; il les
attribue à un grammairien qui n’a que revu le texte, un certain Julius Celsus
Constantinus. Pour raconter la guerre civile, l’anonyme ne suit plus César,
mais la Pharsale de Lucain, lequel
sera encore la source de Jean de Thuin qui, au milieu du XIIIe siècle, compose
en vers le Roman de Jules César, puis une adaptation en prose, l’Histoire de Jules César. »
Sur Tacite :
« Certes, Boccace possède dès 1355
le manuscrit, arraché ou plutôt dérobé par lui au Mont-Cassin, des Histoires et de la deuxième partie des Annales : c’est le Laurentianus, 62,2 ; mais les Opera minora, Germanie, Vie d’Agricola,
Dialogue des orateurs, conservés à
Hersfeld, ne parviendront à Rome qu’en 1455 grâce à Enoch d’Ascoli, donnant
lieu à une première édition de l’œuvre, incomplète, en 1470 chez Vindelin de
Spire ; la partie manquante des Annales,
soit les livres I à IV conservés par le Laurentianus
68,1, subtilisé à Corvey, sera à Rome en 1508, Béroalde en 1515 l’édition princeps). Résultat : l’œuvre historique
de Tacite est totalement absente des pages de l’Actius que Giovanni Pontano, à la fin du Quattrocento, consacre à
la manière d’écrire l’histoire, le canon étant, dans l’ordre et exclusivement,
Tite-Live, Salluste, César. »
Sur Pline l’Ancien :
« Seule conservée, mais suffisant à
la gloire de ce polygraphe, la monumentale Histoire naturelle en trente-sept
livres (avec le livre I) publiée en 77 apr. J.-C. et dédiée à Titus, a été
connue tout au long de l’Antiquité tardive et du Moyen Âge, diffusée par plus
de deux cents copies manuscrites complètes ou partielles, lue au premier degré,
avec Solin ou Isidore de Séville, qui en dérivent comme d’une mine une foule de
connaissances et un répertoire de faits, de noms, d’anecdotes, bref la grande
encyclopédie antique […] »
Résumons. Au moyen âge, on peut lire les
écrits de César, sans toujours bien savoir qu’ils sont de César (ce qui réduit
tout de même beaucoup leur intérêt) et l’on ne compte que peu d’œuvres exploitant
la sienne. Tacite, jusqu’au XVe siècle, est peu répandu et d’une
consultation très difficile. En revanche, on connaît très bien Pline l’Ancien,
on le lit passionnément et on y puise volontiers.
Tout cela ne me paraît pas bien décisif,
ni dans un sens ni dans l’autre. Je concède que les sources auxquelles on
aurait pu aller chercher les Gaulois n’étaient pas inexistantes. Par ailleurs,
je constate que ces connaissances n’ont pas fait leur chemin jusqu’aux grandes
compilations historiques en langue vulgaire (comme les Grandes chroniques de France qui sont au XIIIe siècle ce
que Michelet est au XIXe) qui auraient pu les diffuser au-delà de
petits cercles d’érudits. De là à en conclure que lesdits érudits se sont
délibérément abstenus de transmettre ces connaissances, il y a un pas que je ne
franchirais pas. C’est tout de même une explication bien compliquée qu’un
complot, et n’y en a-t-il pas de plus simples ?
Je vous laisse juge, ô lecteur.