Il y a toutes sortes d'excellentes raisons de s'intéresser à Mme de Genlis, tant il est vrai que ce personnage haut en couleur a eu une vie qui ressemble à un roman. Malheureusement, il n'est pas certain que sa contribution à la Matière de France soit l'une de ces bonnes raisons : l'oeuvre en question ne peut sans doute, en bonne et droite justice, être comptée ni comme un des sommets de la littérature française, ni comme l'ouvrage le plus intéressant de la comtesse.
C'est pourtant de cet improbable surgeon de notre cycle épique, écrit à la fin du XVIIIème siècle, que je vais vous entretenir. Ainsi, nous resterons dans les thèmes de ce blog. Du reste, vous verrez que le sujet mérite quelque curiosité, car c'est toute une histoire, et une drôle d'histoire, qui se mêle à la grande Histoire, que celle de la naissance de cette oeuvre et de sa réception.
Laissons M. de Broglie nous la raconter :
"En octobre 1794, Mme de Genlis remettait au libraire Fauche de Hambourg le manuscrit d'un roman historique en trois volumes, Les Chevaliers du Cygne ou la cour de Charlemagne. L'ouvrage était dédié à M. de Romanzoff qui lui en avait donné l'idée lors du voyage à Spa en 1787. Les neuf premiers chapitres avaient été écrits avant la Révolution, le reste en 1793. Fauche le lui paya 6600 francs, somme considérable qui lui permit de vivre pendant cette période.
Le livre ne parut qu'en avril 1795, faute de papier de Hollande dont la fourniture avait été retardée par l'entrée des troupes françaises. Il s'annonçait comme un conte historique, faisant suite aux trois contes des Veillées du Château publiées en 1784 et plusieurs fois rééditées. Ce conte historique et moral qui dépeignait les sentiments de la cour de Charlemagne se fixait pour objectif de rétablir l'esprit de la chevalerie. L'auteur annonçait dans les sous-titres que "tous les traits qui peuvent faire allusion à la Révolution française sont tirés de l'Histoire" et ajoutait dans la préface : "J'ai cru que la générosité, l'humanité, la loyauté des anciens Chevaliers affermiraient mieux une république que les principes de Marat et Robespierre."
L'ouvrage n'était donc pas sans relation avec l'actualité et fut accueilli comme tel. Les émigrés y trouvèrent des allusions amères contre Marie-Antoinette et même un récit déplacé de sa mort, ainsi que de nombreux traits anti-monarchiques. Ils dénoncèrent le caractère impudique des amours de la sexagénaire Elvire et du jeune page Azéli et la complaisance avec laquelle était peint le vice du personnage d'Armoflède. Le général de Montesquiou accusa l'auteur "d'avoir sacrifié à une mode dont l'Allemagne faisait ses délices, et fait une mauvaise, ennuyeuse et dégoûtante rhapsodie". Pendant ce temps, un jeune émigré royaliste philosophe, le comte de Neuilly, en lisait des extraits dans les salons de Hambourg et se faisait embrasser par l'auteur. Plusieurs brochures furent consacrées en 1795 à des attaques contre l'ouvrage, un Examen critique et impartial du roman de Mme de Genlis, un Extrait des Chevaliers du Cygne attribué à Suard que Mme de Genlis trouva très partial, un article dans le Journal de Paris de Roederer, un autre dans les Nouvelles politiques.
Mme de Genlis supporta mal ces critiques et répliqua en publiant, l'année suivante, en complément de son Précis de ma conduite quarante pages de "Réflexions sur la critique, écrites au mois de février 1796". Elle s'emportait contre les journalistes qui n'avaient cité que des extraits hors de leur contexte, se défendait des accusations d'immoralité qui ne touchaient que le seul personnage d'Armoflède et se livrait à une violente diatribe contre ses censeurs. "Jadis, dans le monde, je n'ai jamais répondu aux attaques. Maintenant, je ne suis plus rien, je n'aspire à rien, je n'ai plus d'entraves. Sans bien, sans ambition, sans patrie, je puis confondre la méchanceté et démasquer la mauvaise foi."
Dans son Précis, elle justifiait le procès politique : "En retranchant seulement de mon dernier ouvrage une vingtaine de pages, j'aurais eu l'approbation universelle d'un parti (royaliste), mais je ne veux ni flatter ni insulter les princes ou les républicains. Je veux présenter des vérités... c'est-à-dire toutes celles qui portent à la modération, à la paix, au respect des gouvernements établis." Dans les éditions suivantes des Chevaliers du Cygne en 1805, 1811 et 1819, elle supprima tous les passages anti-monarchistes.
Sur le plan littéraire, le roman fut bien accueilli. L'auteur se plaçait elle-même dans la lignée de Mme de La Fayette et de Mme de Graffigny. La Grande Catherine assura son succès en Russie et fit faire des bracelets "à la duchesse de Clèves" semblables à ceux décrits dans le livre. A la cour de Berlin, on dansa un quadrille avec tous les personnages des Chevaliers du Cygne et leurs devises. A.W. Schlegel l'honora d'un compte-rendu élogieux dans le Journal littéraire de Berlin."
Madame de Genlis, Gabriel de Broglie, 1985.
Dans de futurs billets, je me pencherai davantage sur le contenu de l'oeuvre, sur la place qu'elle occupe dans la transmission de la mémoire entourant Charlemagne après le moyen âge, et sur ce qui peut rapprocher et distinguer cet étrange roman des chansons de geste qui en sont les lointains ancêtres. Je vous proposerai aussi quelques morceaux choisis. Si toutefois il fait moins chaud dans les prochains jours, parce qu'on fond, ces temps-ci, et j'ai du mal à me concentrer.
C'est pourtant de cet improbable surgeon de notre cycle épique, écrit à la fin du XVIIIème siècle, que je vais vous entretenir. Ainsi, nous resterons dans les thèmes de ce blog. Du reste, vous verrez que le sujet mérite quelque curiosité, car c'est toute une histoire, et une drôle d'histoire, qui se mêle à la grande Histoire, que celle de la naissance de cette oeuvre et de sa réception.
Laissons M. de Broglie nous la raconter :
"En octobre 1794, Mme de Genlis remettait au libraire Fauche de Hambourg le manuscrit d'un roman historique en trois volumes, Les Chevaliers du Cygne ou la cour de Charlemagne. L'ouvrage était dédié à M. de Romanzoff qui lui en avait donné l'idée lors du voyage à Spa en 1787. Les neuf premiers chapitres avaient été écrits avant la Révolution, le reste en 1793. Fauche le lui paya 6600 francs, somme considérable qui lui permit de vivre pendant cette période.
Le livre ne parut qu'en avril 1795, faute de papier de Hollande dont la fourniture avait été retardée par l'entrée des troupes françaises. Il s'annonçait comme un conte historique, faisant suite aux trois contes des Veillées du Château publiées en 1784 et plusieurs fois rééditées. Ce conte historique et moral qui dépeignait les sentiments de la cour de Charlemagne se fixait pour objectif de rétablir l'esprit de la chevalerie. L'auteur annonçait dans les sous-titres que "tous les traits qui peuvent faire allusion à la Révolution française sont tirés de l'Histoire" et ajoutait dans la préface : "J'ai cru que la générosité, l'humanité, la loyauté des anciens Chevaliers affermiraient mieux une république que les principes de Marat et Robespierre."
L'ouvrage n'était donc pas sans relation avec l'actualité et fut accueilli comme tel. Les émigrés y trouvèrent des allusions amères contre Marie-Antoinette et même un récit déplacé de sa mort, ainsi que de nombreux traits anti-monarchiques. Ils dénoncèrent le caractère impudique des amours de la sexagénaire Elvire et du jeune page Azéli et la complaisance avec laquelle était peint le vice du personnage d'Armoflède. Le général de Montesquiou accusa l'auteur "d'avoir sacrifié à une mode dont l'Allemagne faisait ses délices, et fait une mauvaise, ennuyeuse et dégoûtante rhapsodie". Pendant ce temps, un jeune émigré royaliste philosophe, le comte de Neuilly, en lisait des extraits dans les salons de Hambourg et se faisait embrasser par l'auteur. Plusieurs brochures furent consacrées en 1795 à des attaques contre l'ouvrage, un Examen critique et impartial du roman de Mme de Genlis, un Extrait des Chevaliers du Cygne attribué à Suard que Mme de Genlis trouva très partial, un article dans le Journal de Paris de Roederer, un autre dans les Nouvelles politiques.
Mme de Genlis supporta mal ces critiques et répliqua en publiant, l'année suivante, en complément de son Précis de ma conduite quarante pages de "Réflexions sur la critique, écrites au mois de février 1796". Elle s'emportait contre les journalistes qui n'avaient cité que des extraits hors de leur contexte, se défendait des accusations d'immoralité qui ne touchaient que le seul personnage d'Armoflède et se livrait à une violente diatribe contre ses censeurs. "Jadis, dans le monde, je n'ai jamais répondu aux attaques. Maintenant, je ne suis plus rien, je n'aspire à rien, je n'ai plus d'entraves. Sans bien, sans ambition, sans patrie, je puis confondre la méchanceté et démasquer la mauvaise foi."
Dans son Précis, elle justifiait le procès politique : "En retranchant seulement de mon dernier ouvrage une vingtaine de pages, j'aurais eu l'approbation universelle d'un parti (royaliste), mais je ne veux ni flatter ni insulter les princes ou les républicains. Je veux présenter des vérités... c'est-à-dire toutes celles qui portent à la modération, à la paix, au respect des gouvernements établis." Dans les éditions suivantes des Chevaliers du Cygne en 1805, 1811 et 1819, elle supprima tous les passages anti-monarchistes.
Sur le plan littéraire, le roman fut bien accueilli. L'auteur se plaçait elle-même dans la lignée de Mme de La Fayette et de Mme de Graffigny. La Grande Catherine assura son succès en Russie et fit faire des bracelets "à la duchesse de Clèves" semblables à ceux décrits dans le livre. A la cour de Berlin, on dansa un quadrille avec tous les personnages des Chevaliers du Cygne et leurs devises. A.W. Schlegel l'honora d'un compte-rendu élogieux dans le Journal littéraire de Berlin."
Madame de Genlis, Gabriel de Broglie, 1985.
Dans de futurs billets, je me pencherai davantage sur le contenu de l'oeuvre, sur la place qu'elle occupe dans la transmission de la mémoire entourant Charlemagne après le moyen âge, et sur ce qui peut rapprocher et distinguer cet étrange roman des chansons de geste qui en sont les lointains ancêtres. Je vous proposerai aussi quelques morceaux choisis. Si toutefois il fait moins chaud dans les prochains jours, parce qu'on fond, ces temps-ci, et j'ai du mal à me concentrer.
M. de Broglie paraphrase beaucoup beaucoup les Mémoires de la comtesse.
RépondreSupprimerEt j'attends avec un vif intérêt votre propre analyse ( surtout si vous pouvez comparer les éditions, et trouver ce que l'auteur a supprimé).
ça, malheureusement, ça ne va pas m'être possible : je n'ai réussi à trouver que l'édition de 1805.
SupprimerVu sur Abebooks une édition 1795 , mais bien chère (400 euros).
SupprimerOuille ! Ce n'est pas vraiment à la portée de mes moyens.
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