dimanche 30 décembre 2012

Sone de Nansay

Sone de Nansay n'est pas une chanson de geste. Il s'agit d'un long roman de chevalerie, de la fin du XIIIème siècle. A-t-il donc sa place sur ce blog ? Plus ou moins. Il s'agit d'une de ces oeuvres qui se situent pour ainsi dire à la rencontre du cycle arthurien et du cycle carolingien, entretenant des liens avec l'un comme l'autre. La présence du Graal, et la mention de la légende de Joseph d'Arimathie, gardien du saint vase, lient le roman au monde arthurien, mais c'est à peu près tout. L'action ne se déroule pas dans l'espace mythifié de la Bretagne arthurienne, mais dans un cadre relativement réaliste. Du reste, Sone, le héros du roman, est donné pour l'ancêtre du Chevalier au Cygne, aïeul mythique de Godefroy de Bouillon, et l'oeuvre se rattache donc en cela, ainsi que par certains thèmes, à la Matière de France, et plus particulièrement au cycle de la croisade.

Allons, Sone, c'est décidé : tu as ta place ici. Entre donc.


Sone de Nansay est un roman initiatique, qui nous peint l’irrésistible ascension d'une jeune homme de bon lignage alsacien (Nansay est peut-être bien la ville de Nancy), quoi que cadet de famille, et qui deviendra pourtant empereur, par ses qualités personnelles. C'est une oeuvre optimiste, qui exprime une vision confiante de la vie : confiante en Dieu bien sûr, mais aussi en la capacité de l'homme à faire montre de grandeur. La curiosité, l'appétit de vivre et de connaître, emplissent le roman. Si le monde n'est pas tout, il a bien des choses à offrir, et l'on apprend beaucoup à l'arpenter en tout sens, comme le fera Sone. Du reste, l'éducation du jeune homme a l'ambition d'en faire bien davantage qu'un simple combattant, elle a déjà des côtés rabelaisiens :

"Il avait l'habitude d'épuiser par sa soif d'apprendre quatre maîtres différents ; il voulait savoir toutes les règles des échecs, du trictrac, de l'escrime, de la magie, de la géométrie et il avait l'habitude d'y employer toutes ses 
capacités. Il était passé maître dans l'art du chant dont il connaissait tous les principes ; et personne au monde ne chantait mieux que lui"

Accompli en toutes choses, merveilleusement beau et brave, courtois et généreux, combattant hors-pair, Sone est donc le parfait gentilhomme tel qu'on le conçoit alors. N'étant que cadet de famille, il n'hérite cependant d'aucun fief : son frère aîné, Henri, souffreteux  et chétif, mais plein de sagesse et de bonté, recevra tous les domaines patrimoniaux. L'amitié des deux frères en sera-t-elle envenimée ? Nullement, et leur bonne entente paraît dans des dialogues pleins de tendresse :

"Mon frère, je vous prie - et s'il vous plaît à vous comme à moi - de demeurer avec moi et d'être proclamé seigneur de tout le domaine. Je vous abandonnerai l'héritage, je suis une chétive créature. Sans votre grande valeur, je serais fort peu craint. Mais tant que Dieu vous maintiendra en vie, on craindra mon pouvoir.
      -Mon frère, répond Sone, patientez. Si vous recouvriez la santé, vous épouseriez la fille d'un seigneur, dont vous auriez de beaux enfants. Vous en seriez honoré et appelé parmi les hommes de mérite. Je ne veux pas vous déshériter ; au contraire je voudrais augmenter votre patrimoine. Si vous n'avez pas la taille d'un géant, soyez assez valeureux et sage pour engendrer un grand bonheur ! Vous devez soutenir vos amis. Vous possédez les châteaux et la terre qui font ici votre renommée.
        - Mon frère, reprend Henri, je le sais bien. Mais je n'ai pas en moi assez de force pour gouverner le domaine. Je veux vous le donner par affection." Sone qui aime son frère réplique : "Mon frère, que cette terre soit la vôtre et la mienne ! A vous de dépenser les biens, à moi de les défendre et laissons à présent les choses ainsi, car je n'accepterai pas d'autre accord."

En somme, notre Sone a tout pour être heureux, d'autant que, du fait de son charme naturel, toutes les femmes qui croisent sa route en tombent bien vite amoureuses, sans même qu'il le veuille. Las, il n'a pas beaucoup de chance, car il s'éprend d'une véritable peste, Yde de Donchéry, qui pourtant l'aime en retour mais qui, trop fière pour lui avouer et s'avouer à elle-même ses sentiments, lui rendra la vie impossible. On en vient vite à penser qu'il ferait mieux d'oublier l'acariâtre jeune fille, et de répondre aux sentiments de la belle Odée, fille du roi de Norvège, qui ne soupire que pour lui.

Dans la littérature du moyen-âge, la peinture du sentiment amoureux prend souvent une forme assez conventionnelle. Les trouvères ont élaboré un répertoire de figures de style et de topos, dans lequel ils puisent sans que perce véritablement un lyrisme personnel. Sone de Nansay n'évite pas entièrement cet écueil (s'il s'agit d'un écueil) propre à l'écriture du temps, mais l'expression de l'amour y trouve cependant parfois, il faut le noter, des accents originaux et même émouvants. C'est qu'elle est touchante, cette Odée de Norvège, qui se désespère de voir Sone aimer sa rivale, et qui devient si entreprenante, pour essayer de le gagner, que les bienséances en sont quelque peu égratignées. D'où des conversations comme celle-ci :

"Seigneur, vous avez grand tort, vous qui nous avez fait tant de bien, de ne pas accepter cette récompense, à savoir gouverner notre pays avec ma fille dont vous avez eu tout  ce que vous vouliez.
        -Madame, vous dites vrai, j'ai obtenu ce que je voulais, et si j'avais fait à ma mère autant qu'à elle, je n'aurais certes pas commis de péché. Je prends Dieu à témoin, en souhaitant qu'à ma mort Il m'accorde l'indulgence plénière au terme de ma confession, madame, je ne suis pas un traître et nul mensonge ne sort de ma bouche.
         -Par la foi que je vous dois, rétorque la reine, elle a dit néanmoins à son père que vous l'avez eue totalement et qu'elle ne s'est pas défendue envers vous.
            -Mais, madame, elle ne s'est jamais défendue, car elle n'a jamais subi d'assaut de ma part."

Ce qui est, du reste, parfaitement exact, même si Odée voudrait qu'il en aille autrement. Le personnage de la jeune fille ne manque ni de relief ni d'un certain réalisme : ses cris de rage, lorsqu'elle voit Sone s'en aller offensé par son père, rendent un son juste dans la bouche d'une adolescente amoureuse.

J'ai parlé de la Norvège. C'est que Sone voyage beaucoup, et visite des contrées lointaines et pittoresques : Ecosse, Irlande, Norvège... La description des pays lointains est émaillée de traits marquants, de détails sur la faune locale ou sur les particularités des sites, d'observations de coutumes : notations réalistes, qui nous révèlent la curiosité et la relative érudition de l'auteur. Pour Claude Lachet, le traducteur de l'oeuvre, il s'agit de l'un de nos premiers romans "exotiques". A ce titre, il s'agit d'une curiosité, non dénuée d'intérêt.

Qu'adviendra-t-il de nos amoureux ? Je ne vous en dirai rien. Mais nous ne sommes pas dans Tristan et Iseut, et l'on peut survivre à des peines de coeur. Ici, l'amour n'est pas tragique. Sone de Nansay est le roman d'un époque heureuse. C'est peut-être sa faiblesse, mais il en faut aussi.

Qu'en est-il de la qualité de la traduction ? Il importe de préciser que le texte original est rédigé en octosyllabes. Il s'agit là du vers romanesque par excellence au moyen âge. Sous la plume des bons auteurs, il se fait gracieux et élégant. Un peu grêle pour l'épopée, il se prête bien aux dialogues, aux portraits, à la peinture subtile des sentiments, à l'évocation du merveilleux, aux débats et à la casuistique amoureuse.  Voilà qui tombe bien, car Sone de Nansay ne doit pas son intérêt à ses scènes de combat, nombreuses mais assez plates et quelconques. Ses beautés résident plutôt dans l'analyse des sentiments des personnages, des dialogues attrayants et un art certain de la composition.

Mais, passé à la moulinette de la traduction, le texte devient une prose fade, sans musicalité et pour tout dire sans beauté, à laquelle on ne peut faire qu'un seul éloge : elle est grammaticalement correcte. Claude Lachet n'est pas à blâmer : il n'a fait qu'appliquer les principes qui ont cours aujourd'hui dans la traduction universitaire des textes médiévaux. Sa traduction est simple et colle au plus prêt du sens. Hélas, nous sommes bien loin du charme de la prose poétique de Joseph Bédier, mais c'est désormais la règle. 

Il eût été bon de proposer une édition bilingue, pour permettre tout de même au lecteur moderne de humer de temps à autres le parfum poétique de l'octosyllabe. Ce n'est pas le choix qui a été retenu. Seule la traduction se trouve dans l'ouvrage, et Lachet y annonce qu'il se consacre à la préparation de l'édition, indépendante, du texte original. Dommage.

Si Sone de Nansay n'est pas une oeuvre incontournable du XIIIème siècle, le roman a cependant d'indéniables qualités. Il était grand temps de le rendre accessible au public, et pour cela, le travail de Claude Lachet, par ailleurs estimable médiéviste, doit être salué.

samedi 29 décembre 2012

Tristan et Iseut XIX : La mort

Nous arrivons au terme de notre périple tristanien. Notez que j'ai changé de micro et procédé à quelques réglages, je pense que vous trouverez le son meilleur désormais.




Je signale pour finir que le Tristan et Iseut de Bédier vient d'être réédité, chez Droz. Un classique pareil mérite amplement de figurer dans la bibliothèque de l'honnête homme. C'est par ici.

Eh bien, on ne peut pas dire que cette lecture ait été un franc succès, mais j'ai tout de même l'intention de récidiver, en essayant d'atteindre une meilleure qualité sonore pour le prochain texte. C'est pour bientôt, mais je vais aussi vous proposer quelques billets écrits dans les prochains jours.

samedi 22 décembre 2012

Good king Wenceslas

Bon, les amis, je retourne dans les montagnes pour passer Noël en famille. Je ne sais pas trop si je pourrai bloguer la semaine prochaine, et j'aurai sans doute mieux à faire. Mais je reviendrai avec quelques caisses de livres qui me faisaient défaut, et, je l'espère, en meilleure forme que ces derniers temps.

Je vous laisse en chanson.


Et joyeux Noël !

dimanche 16 décembre 2012

Tristan et Iseut XVII : Dinas de Lidan

Tristan et Iseut XVI : Kaherdin

Tristan et Iseut XV : Iseut aux Blanches Mains

Nous approchons de la fin du roman, et je dois dire que j'en suis le premier soulagé. Poursuivre cette lecture sans recevoir le moindre commentaire en quatorze messages a été une corvée particulièrement décourageante. Je vois bien que c'est un bide, mais faute de toute critique, assassine ou constructive, je ne sais même pas pourquoi. Est-ce la qualité sonore qui est vraiment trop mauvaise ? Le choix de l'oeuvre qui a été malavisé ? L'idée même de proposer une lecture de texte, qui n'a pas plu ? Tout cela à la fois ? Je ne saurai jamais. Autant en emporte le vent. En tout cas, je ne vous cache pas que j'ai hâte d'en finir.


lundi 3 décembre 2012

Tristan et Iseut XIII : La voix du rossignol

Eh bien, je n'ai pas été fort actif sur ce blog dernièrement, mais l'Avent a commencé, c'est la saison des miracles, et peut-être même qu'il est permis d'espérer des billets réguliers ici dans les prochains jours. Enfin, on peut rêver. Je vais au moins tâcher de finir Tristan.

Si seulement je pouvais purger ma vie de toute les futilités qui la polluent, je serais capable, avec le temps ainsi économisé, de tenir trois blogs, d'écrire deux romans de front, d'apprendre une langue et à jouer d'un instrument. Hélas, je n'y arrive pas.