Ce n'est pas parce que j'explore laborieusement les possibilités de l'audio que je vais interrompre toute autre publication. J'aimerais vous faire part d'une petite trouvaille, que j'ai faite cet été, et qui démontre bien qu'on apprend toute sa vie.
Au Moyen Âge, les armoiries de la Maison de France, d'azur à trois fleurs de lys d'or, sont généralement regardées comme infiniment plus précieuses que les autres blasons, et même comme sacrées. On leur attribue une origine céleste, et l'on s'imagine que c'est à Clovis lui-même qu'elles furent données par Dieu, au commencement de la dynastie. C'est de cette croyance que rend compte la fameuse ballade de Charles d'Orléans que j'ai déjà citée :
« Souviengne toy comment voult ordonner (comment Dieu voulus)
Que criasses Montjoye, par liesse, (Que tu cries « Montjoie ! »)
Et qu’en escu d’azur deusses porter
Trois fleurs de lis d’or, et pour hardiesse
Fermer en toy, t’envoya sa Haultesse,
L’auriflamme, qui t’a fait seigneurir (seigneurir : dominer)
Tes ennemis ; ne metz en oubliance
Tels dons haultains, dont lui pleut t’enrichir, (ces dons précieux dont il lui plut de t’enrichir)
Trescrestien, franc royaume de France ! »
Il existe deux principales versions du don des armes à Clovis, et toutes deux sont en rapport avec sa conversion.
Selon l'une, représentée notamment par la chanson de geste de La belle Hélène de Constantinople et par La Geste de Liège de Jean d'Outremeuse, c'est pendant la bataille de Tobliac que le roi franc, invoquant le dieu de son épouse Clotilde alors qu'il est au bord de la défaite, reçoit l'aide divine sous la forme du blason sacré et obtient grâce à lui la victoire.
Une autre version, publiée par Anne Lombard-Jourdan dans son livre Fleurs de lys et oriflamme, fait intervenir un saint religieux, l'ermite de Joyenval, qui, inspiré par Dieu, substitue les lys aux armoiries païennes de Clovis avant que celui-ci ne dispute un périlleux combat singulier : le roi triomphe grâce au blason miraculeux d'un adversaire plus puissant, et se convertit.
Les armes de France ont été interprétées de diverses manières, par exemple comme un symbole de la Trinité (trois lys) ou comme un symbole marial (Marie est le lys de la vallée, cette fleur est traditionnellement liée à l'idée de virginité) mais toujours comme un emblème éminemment chrétien.
Toutefois, lorsque je suis entré, en redescendant de Château Gaillard, dans la collégiale Notre-Dame des Andelys, j'étais loin de me douter que j'allais y trouver une troisième version, de moi inconnue, représentée sur un ensemble de vitraux du XVIème siècle.
Comme vous pouvez le voir sur cette verrière retraçant la vie de Clovis et de Sainte Clotilde, ici c'est lors du baptême du roi que les armoiries lui sont offertes : la colombe du Saint-Esprit les lui apporte en même temps que la Sainte Ampoule, dont on utilisait le Chrême pour sacrer les rois.
Cette version ne bouleverse évidemment pas le symbolisme des armes de France, mais elle a son intérêt. En fait, elle renforce même la sacralité du blason en faisant de lui une véritable regalia au même titre que l'Ampoule, indissociable du baptême de Clovis. Du reste, l'écu est ici apporté par l'Esprit Saint lui-même, alors qu'il était plus modestement porté par un ange dans les autres versions de la légende. Quoi qu'il en soit, l'épisode, dans ses différentes variantes, illustre bien la vocation chrétienne qu'on prêtait alors à la France et à ses rois.
Quant à la collégiale des Andelys, la forte présence de sainte Clotilde en ses murs s'explique par le fait qu'elle fut construite sur les ruines d'une abbaye fondée en 511 par la reine. Une tradition rapporte que Clotilde attribua à une fontaine des Andelys (aujourd'hui la Fontaine Saint-Clotilde) des propriétés miraculeuses, pour renouveler les forces des ouvriers qui travaillaient à bâtir le sanctuaire.
La collégiale possède d'autres trésors que les oeuvres exaltant la sainte et son époux. On y trouve de nombreux vitraux tous plus magnifiques les uns que les autres, et un remarquable groupe sculpté représentant la mise au tombeau :