Maintenant que nous savons à quoi
servent les armoiries, reste à connaître les règles qui régissent leur
composition.
Les
émaux
Voyons tout d’abord les couleurs ou plutôt,
pour employer le terme héraldique, les émaux
qui pourront figurer sur un écu. Il existe six émaux de base qui furent communément
employés dès les origines de l’héraldique, émaux qui correspondent aux couleurs
de base de la culture occidentale et qui se divisent en deux groupes : les
métaux et les couleurs. Les métaux sont l’or
(jaune) et l’argent (blanc), les
couleurs sont le gueules (rouge), l’azur (bleu), le sable (noir) et enfin le sinople
(vert), qui est le plus rare des émaux de base.
A ces émaux, on peut ajouter des
couleurs plus rares, moins tranchées et donc moins aisément identifiables sur
le champ de bataille. Ces émaux tardifs prennent plus d’importance à partir du
moment où le rôle militaire des armoiries devient secondaire. Il s’agit du pourpre (violet) et de la carnation (couleur chair destinée à
représenter les parties découvertes du corps humain).
Mentionnons également les fourrures,
combinaisons conventionnelles d’émaux qui symbolisent les pelleteries
véritables que les guerriers arboraient sur leurs écus aux origines de l’héraldique.
Les principales sont le vair (alternance
de clochettes d’argent et d’azur, disposées sur plusieurs rangées horizontales)…
… et l’hermine (champ d’argent semé de
mouchetures de sable évoquant la touffe de poils noirs de la queue d’une
hermine).
Ces émaux sont des abstractions qui ne
désignent aucune nuance précise. L’azur peut être représenté par un bleu ciel,
un bleu roi ou un bleu marine : cela n’a aucune espèce d’importance et ne
change en rien le blasonnement des armoiries concernées.
L’écu
Ces émaux vont maintenant prendre place
sur une surface que l’on appelle conventionnellement l’écu. En fait, il peut tout aussi bien s’agir d’un vêtement, d’un
fronton de palais ou d’une portière de carrosse, et la forme de cette surface ne
reproduit pas nécessairement celle, triangulaire, des boucliers médiévaux. Cela
non plus n’a aucune importance.
Toutefois, à l’écu reste associé un
vocabulaire qui se souvient de ses origines militaires. Ainsi la partie
inférieure de l’écu s’appelle la pointe, tandis que la droite (la dextre) et la gauche (la senestre) doivent être envisagées du
point de vue du théorique guerrier qui porte l’écu devant lui : pour le
lecteur, il faut donc les inverser. Quant au centre de l’écu, on l’appelle le cœur ou l’abîme.
L’alternance
Disposés à l’intérieur de l’écu, les émaux
obéissent à une règle stricte, la règle d’alternance,
qui interdit de juxtaposer ou de superposer deux couleurs, ou deux métaux.
Ainsi, sur un champ d’argent, on ne peut placer une figure d’or. De très rares
exceptions existent, comme les armoiries du royaume de Jérusalem :
On parle alors d’armes à enquerre, car elles poussent le
curieux à s’enquérir de la raison de l’anomalie.
Cette règle d’alternance s’explique en
partie par un souci de visibilité et de clarté sur le champ de bataille.
Les
figures
Sur le fond de l’écu, que l’on appelle champ, on ajoute généralement (mais pas
toujours, car il existe des champs pleins, d’un seul émail) un ou plusieurs
éléments. Penchons-nous à présent sur ces figures susceptibles d’orner le
blason. Elles se divisent en trois groupes.
Les meubles
sont les figures dont la place dans l’écu peut être variable. Les animaux, les plantes, les objets et les
armes, entre autres, sont des meubles.
Les partitions
sont les figures géométriques obtenues par des lignes, qui partagent l’écu en
un nombre pair de divisions égales et d’émaux alternés.
Quant aux pièces, ce sont les figures géométriques obtenues par des lignes,
qui partagent l’écu en un nombre impair de parties.
Contrairement à ce que veut une idée
fausse, les meubles, même les lions, les aigles ou les fleurs de lys, ne sont
pas intrinsèquement plus nobles ou plus gratifiantes que les pièces ou les
partitions. On parle d’ailleurs de pièces
honorables pour qualifier les pièces les plus classiques et les plus
anciennes (barre, bande, canton, chef, chevron, croix, fasce, pal, sautoir…).
Il ne saurait être question pour moi de
vous décrire toutes les figures. Leur nombre est théoriquement illimité, car
tout objet peut devenir figure de blason.
Bien sûr, dans l’héraldique primitive,
les figures sont principalement puisées dans les symboles de la culture chevaleresque
et nobiliaire : on y voit donc des lions et des léopards, des aigles, des
cerfs, des épées ou des lances, et plus tard, du fait d’influences littéraires,
des griffons, licornes et dragons.
Mais les paysans, les ecclésiastiques et
les congrégations de métiers peuvent aussi se doter d’armoirie : il n’est
donc pas étonnant d’y voir apparaître des outils, ou même des légumes.
Un article de blog ne saurait donc avoir
la prétention d’épuiser le sujet. Il y faudrait un dictionnaire, et d’ailleurs
il en existe. Tout au plus signalera-t-on que les figures, quelles qu’elles
soient, doivent être simples, stylisées et lisibles.
Simple anecdote en passant : le
léopard héraldique ne se distingue en rien du lion, si ce n’est qu’il tourne la tête en direction du lecteur, et que le
panache de sa queue est tourné vers l’extérieur. Les armes de Normandie sont de
gueules à deux léopards d’or.
Autre nuance, la position du fauve de
profil, debout, dressé sur la patte postérieure gauche et levant la patte
antérieure droite, ce qu’on appelle un fauve rampant est la position normal d’un lion : lorsque le lion est
rampant, on ne l’indique pas. A l’inverse, lorsque le léopard est passant, à l’horizontal, comme sur les
armes de Normandie, il n’est pas utile de le mentionner car dans son cas, c’est
la posture ordinaire.
On parle de lion léopardé pour un lion passant si le panache de sa queue est
tourné vers l’extérieur, de léopard
lionné pour un léopard rampant dont la queue est parallèle au dos.
Lire
un blason
Nous savons ce que sont les émaux, nous
savons ce que sont les figures : il ne nous reste plus qu’à composer notre
blason en respectant les règles de l’alternance. Notre ami Aristide, qui nous a
confié vouloir élaborer son propre blason, pourrait par exemple choisir de
prendre un champ d’azur, et d’y mettre une chouette d’or.
Reste à savoir lire correctement ces
armoiries en langage héraldique, ce que l’on appelle blasonner. Il y a une manière bien précise de le faire, et « une
chouette d’or posée sur un champ d’azur » n’est pas un blasonnement
correct.
L’écu doit être considéré comme une
image en trois dimensions, où se superposent différents plans. Pour blasonner,
il faut partir du plan du fond, le plus éloigné de l’œil du lecteur, puis s’en
rapprocher progressivement, plan après plan.
En effet, pour composer des armoiries,
on choisit d’abord un champ, sur lequel on pose une figure. Après quoi l’on
peut poser une autre figure sur le même plan que la précédente, comme pour les
deux léopards de la Normandie. On peut aussi poser une figure sur une figure :
il s’agit alors d’un troisième plan.
Les armoiries d’Aristide se blasonneront
donc correctement d’azur à la chouette d’or.